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18 janvier 2015 7 18 /01 /janvier /2015 18:39

Il était grand, sec, le visage émacié, le cheveu rare asphyxié par son éternelle casquette, élément incontournable porté par les hommes de sa génération. Le regard était perçant mais  empreint de bonhommie, voilé quelques fois d’un nuage mélancolique. Une mini moustache poivre et sel ornait sa lèvre supérieure, masquée par un nez droit et long.

Taciturne, il pouvait demeurer immobile, silencieux, plongé dans ses pensées pendant des périodes qui me paraissaient une éternité mais qui, peu à peu s’inscrivaient, fluides, dans le cours du temps.

 

Le soir, après le repas, il se roulait une cigarette de tabac gris, puisé dans un pot en noyer, qu’il allumait avec un briquet à essence. Il se trouvait alors, l’espace d’un instant, entouré d’un halo de fumée blanche bordée d’une frange sombre.

 Enveloppé de son manteau neigeux, il gagnait ensuite la partie gauche du poêle à bois et sa main droite posée sur le porte- manteau, se mettait à aspirer paisiblement le cône fripé de son brulot. C’était pour moi un instant magique qui se répétait ainsi, inlassablement, clôturant chacune de ses journées. Je ne pouvais l’imaginer sans ce cérémonial, lequel précédait le bruit de ses pas dans l’escalier qui menait à sa chambre.

Il se couchait tôt et se levait de même pour, aux aurores, réanimer le feu et, après un petit déjeuner rapide, préparer les caisses de consignes de vin, limonade et boissons diverses, trier les fruits et légumes tallés ou inaptes à satisfaire, à ses yeux, les clients de l’épicerie.

 Bananes, oranges, pommes, poires n’ayant pas trouvé grâce à ses yeux finissait le soir dans son assiette accompagnées d’un bout de pain. Rien ne se perdait et ne devait se perdre pour ce poilu qui gardait dans sa chair un morceau de ferraille, souvenir de la bataille de Verdun.

Je n’avais pas saisi, à l’époque, en en traçant de mon doigt le contour sur sa poitrine, ce que ce bout de métal pouvait restituer chaque jour comme flots de souvenirs douloureux, hallucinants de ce que fut la boucherie de la dite Grande Guerre.

 

Régulièrement, durant les vacances, nous descendions vers son jardin. Ce dernier était bordé à l’est par le canal lequel actionnait, sur son cours, nombre de machines des scieries et tissages riverains et à l’ouest par la rivière.

Ce jardin était à la fois lumineux et frais, ordonné au cordeau et exubérant, peuplé du gazouillis des passereaux et du champ des grillons. Il était aussi habité de quelques vieux pommiers rabougris dont je ramassais les fruits pour les offrir aux lapins qui habitaient des cages au dessus grillagé.

Presque chaque jour la collecte des légumes frais emplissait la petite remorque à deux roues dont le contenu rejoignait les cageots de l’épicerie complétant ainsi les fruits de saison livrés par les grossistes.

 

Tout me paraissait baigner dans une quiétude ouatée et chaque tranche de vie se dérouler comme au ralenti. La sortie des usines qui s’opérait après le son de la trompe marquant le coup de midi ressemblait au contenu de ces vieilles cartes postales empreintes de la nostalgie de temps anciens : une ribambelle de vélos fatigués poussés par des bras noueux dans cette rue, bien nommée, de l’Industrie, une forêt de casquettes froissées, de sacoches avachies, de cabas informes, témoins de la laborieuse activité de l’époque mélangeant pêle-mêle hommes, femmes, adolescent, jeunes, vieux …

Chacun, chacune faisait halte à l’épicerie pour acheter qui une flûte, qui de la charcuterie ou bien une salade frisée cueillie la veille au jardin quand ce n’était pas un crochet dans l’un des deux bistrots du quartier. C’était un éternel recommencement réglé par le métronome d’une vie où loisirs et vacances avaient peu de place.

 

Grand père, car c’est de lui dont je parle, s’en est allé un jour, emporté par une maladie somme toute presque bénigne mais mal soignée. Peut être avait il choisi de ne plus se battre, lui qui avait échappé aux obus, aux gaz, à l’humidité des tranchées, à la misère d’une guerre sans nom …

Pour l’enfant que j’étais, il faisait partie du tableau intemporel dans lequel j’évoluais alors. Il était paré de cette aura d’immortalité que je me plaisais à lui octroyer.

Je suis conscient aujourd’hui, avec ces quelques lignes, de la lui restituer et de le placer de nouveau au centre de mes souvenirs.

Son portrait est sur mon bureau et il me regarde avec son sourire bienveillant.

Ciao pépé…

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